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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome III.djvu/284

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VIJe JOURNÉE

voiant si bien conditionné, l’aymoyt parfaictement & se confyoit en luy de toutes les affaires que selon son aage il povoyt entendre.

La Duchesse, qui n’avoit pas le cueur de femme & Princesse vertueuse, ne se contantant de l’amour que son mary luy portoyt & du bon traictement qu’elle avoyt de luy, regardoyt souvent ce Gentil homme & le trouvoit tant à son gré qu’elle l’aymoit oultre raison, ce que à toute heure mectoyt peyne de luy faire entendre, tant par regardz piteulx & doulx que par souspirs & contenances passionnés.

Mais le Gentil homme, qui jamais n’avoyt estudyé que à la vertu, ne povoyt congnoistre le vice en une Dame qui en avoyt si peu d’occasion, tellement que œillades & mynes de ceste pauvre folle n’apportoient aultre fruict que ung furieulx desespoir, lequel ung jour la poussa tant que, oubliant qu’elle estoyt femme, qui debvoit estre priée & refuser, Princesse, qui debvoit estre adorée desdaignant telz serviteurs, print le cueur d’un homme transporté pour descharger le feu qui estoit importable. Et, ainsy que son mary alloit au Conseil, où le Gentil homme pour sa jeunesse n’estoyt poinct, luy fit signe qu’il vînt devers elle, ce qu’il feit, pensant qu’elle eust à luy commander quelque chose. Mais en s’appuyant sur son bras, comme femme lasse de trop de repos, le mena pourmener