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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome III.djvu/285

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LXXe NOUVELLE

en une gallerie, où elle luy dist : « Je m’esbahys de vous, qui estes tant beau, jeune & tant plain de toute bonne grace, comme vous avez vescu en ceste compaignye, où il y a si grand nombre de belles Dames, sans que jamais vous ayez esté amoureux ou serviteur d’aucune », &, en le regardant du meilleur œil qu’elle povoyt, se teut pour luy donner lieu de dire : « Madame, si j’estoys digne que vostre Haultesse se peust abbaisser à penser à moy, ce vous seroyt plus d’occasion d’esbahissement de veoir ung homme si indigne d’estre aymé que moy présenter son service pour en avoir refuz ou mocquerie. »

La Duchesse, ayant oy ceste sage response, l’ayma plus fort que paravant & luy jura qu’il n’y avoit Dame en sa Court qui ne fût trop heureuse d’avoir ung tel serviteur & qu’il se povoit bien essayer telle advanture, car sans péril il en sortiroit à son honneur. Le Gentil homme tenoit tousjours les œilz baissez, n’osant regarder ses contenances, qui estoient assez ardantes pour faire brusler une glace, &, ainsy qu’il se vouloyt excuser, le Duc demanda la Duchesse pour quelque affaire au Conseil qui luy touchoit, où avec grand regret elle alla. Mais le Gentil homme ne feit jamais ung seul semblant d’avoir entendu parolle qu’elle luy eust dicte, dont elle estoyt si troublée & faschée qu’elle n’en sçavoyt à qui donner le tort de son ennuy, sinon à la sotte