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Ve JOURNÉE

de son pauvre estat la cuyder avoir à son plaisir, il se trompoyt, car elle n’avoit le cueur moins honneste que la plus grande Princesse de la Chrestienté & n’estimoit trésor au Monde au pris de l’honnesteté & de la conscience, le supliant ne la vouloir empescher de toute sa vie garder ce trésor, car pour mourir elle ne changeroit d’oppinion.

Le jeune Prince ne trouva pas ceste response à son gré ; toutesfois l’en ayma il très fort & ne faillyt de faire mectre tousjours son siège à l’église où elle alloyt à la messe, & durant le service addressoit tousjours ses oeilz à cest ymaige. Mais, quant elle l’apperçeut, changea de lieu & alla en une aultre chapelle, non pour fuyr de le veoir, car elle n’eust pas esté créature raisonnable si elle n’eust pas prins plaisir à le regarder, mais elle craingnoyt estre veue de luy, ne s’estimant digne d’en estre aymée par honneur ou par mariage, ne voulant aussi d’autre part que ce fust par folie & plaisir, &, quand elle veid que, en quelque lieu de l’église qu’elle se peult mettre, le Prince se faisoyt dire la messe tout auprès, ne voulut plus aller en ceste église là, mais alloit tous les jours à la plus esloignée qu’elle povoyt, &, quant quelques nopces alloient au Chasteau, ne s’y voloit plus retrouver, combien que la seur du Prince l’envoyast quérir souvent, s’excusant sur quelque malladye.

Le Prince, voïant qu’il ne povoyt parler à elle,