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Ve JOURNÉE

demanda où estoyt Françoise. Ilz eurent bien à faire à la trouver, car, si tost qu’elle avoyt veu ce jeune Prince entrer en sa maison, s’en estoit allée cacher au plus secret lieu de léans. Toutesfois sa seur la trouva, qui la pria de ne craindre poinct venir parler à ung si honneste & si vertueux Prince.

« Comment, ma seur, » dist Françoise, « vous que je tiens ma mère, me vouldriez vous conseiller d’aller parler à ung jeune Seigneur, duquel vous sçavez que je ne puis ignorer la volunté ? »

Mais sa seur luy feit tant de remonstrances & promesses de ne la laisser seulle qu’elle alla avecq elle, portant ung visaige si pasle & desfaict qu’elle estoyt plus pour engendrer pitié que concupiscence.

Le jeune Prince, quand il la veid près de son lict, il la print par la main, qu’elle avoyt froide & tremblante, & luy dist :

« Françoise, m’estimez vous si mauvais homme, si estrange & cruel que je menge les femmes en les regardant ? Pourquoy avez vous prins une si grande craincte de celluy qui ne cherche que vostre honneur & advantaige ? Vous sçavez que en tous lieux qu’il m’a esté possible j’ay serché de vous veoir & parler à vous, ce que je n’ay pu, &, pour me faire plus de despit, avez fuy les lieux où j’avois accoustumé de vous veoir à la messe,