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XLIJe NOUVELLE

vostre passe temps vous voulez des femmes de mon estat, vous en trouverez assez en ceste Ville de plus belles que moy sans comparaison, qui ne vous donneront la peine de les prier tant. Arrestez vous doncques à celles à qui vous ferez plaisir en achetant leur honneur, & ne travaillez plus celle qui vous ayme plus que soy mesmes. Car, s’il falloit que vostre vie ou la myenne fust aujourd’huy demandée de Dieu, je me tiendroys bien heureuse d’offrir la mienne pour saulver la vostre, car ce n’est faulte d’amour qui me faict fuyr vostre présence, mais c’est plus tost pour en avoir trop à vostre conscience & à la myenne, car j’ay mon honneur plus cher que ma vie. Je demeureray, s’il vous plaist, Monseigneur, en vostre bonne grâce & prieray toute ma vie Dieu pour vostre prosperité & santé. Il est bien vray que cest honneur que vous me faictes me fera entre les gens de ma sorte mieulx estimer, car qui est l’homme de mon estat, après vous avoir veu, que je daignasse regarder ? Par ainsy demeurera mon cueur en liberté, synon de l’obligation où je veulx à jamais estre de prier Dieu pour vous, car aultre service ne vous puis je jamais faire. »

Le jeune Prince, voïant ceste honneste response, combien qu’elle ne fust selon son desir, si ne la povoit moins estimer qu’elle estoit. Il feyt ce qu’il luy fut possible pour luy faire croire qu’il n’ayme-