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Ve JOURNÉE

roit jamais femme qu’elle, mais elle estoit si saige que une chose si desraisonnable ne povoit entrer en son entendement, & durant ces propos, combien que souvent on dist que ses habillemens estoient venuz du Chasteau, avoyt tant de plaisir & d’aise qu’il feyt dire qu’il dormoyt jusques ad ce que l’heure du souppé fut venue, où il n’osoit faillir à sa mère, qui estoit une des plus saiges Dames du Monde.

Ainsy s’en alla le jeune homme de la maison de son Sommelier, estimant plus que jamais l’honnesteté de ceste fille. Il en parloyt souvent au Gentil homme qui couchoyt en sa chambre, lequel, pensant que argent faisoyt plus que amour, luy conseilla de faire offrir à ceste fille quelque honneste somme pour se condescendre à son voulloir. Le jeune Prince, duquel la mère estoyt le trésorier, n’avoyt que peu d’argent pour ses menuz plaisirs, qu’il print, avecq tout ce qu’il peut empruncter, & se trouva la somme de cinq cens escuz qu’il envoia à ceste fille par le Gentilhomme, la priant de vouloir changer d’opinion.

Mais, quand elle veit le présent, dist au Gentil homme :

« Je vous prie, dictes à Monseigneur que j’ay le cueur si bon & si honneste que, s’il falloyt obeyr ad ce qu’il me commande, la beaulté & les graces qui sont en luy m’auroient desjà vain-