Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome III.djvu/50

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
36
Ve JOURNÉE

que ce ne povoyt estre elle, mais, ainsy qu’elle se tournoyt, advisa sa craye blanche, dont il fut si estonné qu’à peine povoit il croire ce qu’il voyoit.

Toutesfoys, ayant bien regardé sa taille, qui estoit semblable à celle qu’il touchoit, les façons de son visage qui au toucher se peuvent congnoistre, congneut certainement que c’estoyt elle, dont il fut très aise de veoir que une femme qui jamais n’avoit eu le bruict d’avoir serviteur, mais avoit tant refusé d’honnestes Gentilz hommes, s’estoyt arrestée à luy seul.

Amour, qui n’est jamays en ung estat, ne peult endurer qu’il vesquît longuement en ce repos & le meist en telle gloire & espérance qu’il se délibéra de faire congnoistre son amour, pensant que, quand elle seroyt congneue, elle auroyt occasion d’augmenter. Et ung jour que ceste grande Dame alloyt au Jardin, la Damoiselle Jambicque s’en alla pourmener en une aultre allée.

Le Gentil homme, la voïant seulle, s’advancea pour l’entretenir &, faingnant ne l’avoir poinct veue ailleurs, luy dist : « Madamoiselle, il y a longtemps que je vous porte une affection sur mon cueur laquelle, pour paour de vous desplaire, ne vous ay osé reveller, dont je suis si mal que je ne puis plus porter ceste peine sans morir, car je ne croy pas que jamais homme vous sçeut tant aymer que je fais. »