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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome III.djvu/62

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Ve JOURNÉE

Provence contre la descente de Charles d’Autriche, & fut force à Jaques de suivre le camp pour l’estat auquel il estoit appelle. Durant lequel camp, & dès le commencement, son père alla de vie à trespas, dont la nouvelle luy apporta double ennuy, l’un pour la perte de son père, l’autre pour l’incommodité de reveoir si souvent sa bien aimée, comme il espèroit à son retour.

Toutesfois, avecques le temps, l’un fut oublié & l’autre s’augmenta, car, comme la mort est chose naturelle, principalement au père plus tost qu’aux enfans, aussi la tristesse s’en escoule peu à peu. Mais l’amour, au lieu de nous apporter mort, nous rapporte vie en nous communiquant la propagation des enfans, qui nous rendent immortels, & cela est une des principales causes d’augmenter noz desirs.

Jaques donc, estant de retour à Paris, n’avoit autre soing ny pensement que de se remettre au train de la fréquentation vulgaire du Marchand pour, sous ombre de pure amitié, faire trafic de sa plus chère marchandise. D’autre part Françoise, pendant son absence, avoit esté fort sollicitée d’ailleurs, tant à cause de sa beauté que de son bon esprit, & aussi qu’elle estoit, long temps y avoit, mariable, combien que le père ne s’en mist pas fort en son devoir, fust ou pour son avarice, ou par trop grand desir de la colloquer comme fille uni-