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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome III.djvu/68

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Ve JOURNÉE

Et y furent ces bonnes femmes si accoustumées, par l’espace d’une demie heure, qu’à la fin Jaques feit le signe à Olivier, qui joua son personnage envers l’autre fille qu’il tenoit, en sorte qu’elle ne s’apperçeut point que les deux amans entrèrent dans un préau, couvert de cerisaye & bien cloz de rosiers & de groseillers fort haults, là où ils feirent semblant d’aller abbattre des amendes à un coing du préau, mais ce fut pour abbatre prunes.

Aussi Jaques, au lieu de bailler la cotte verte à s’amie, luy bailla la cotte rouge, en sorte que la couleur luy en vint au visage pour s’estre trouvée surprise un peu plus tost qu’elle ne pensoit. Si eurent ilz si habilement cueilly leurs prunes, pour ce qu’elles estoient meures, que Olivier mesme ne le pouvoit croire, n’eust esté qu’il veid la fille tirant la veue contre bas & monstrant visage honteux, qui luy donna marque de la vérité pour ce qu’auparavant elle alloit la teste levée, sans craindre qu’on veist en l’œil la veine, qui doit estre rouge, avoir pris couleur azurée, de quoy Jaques s’apercevant la remeit en son naturel par remonstrances à ce nécessaires.

Toutesfois, en faisant encor deux ou trois tours de jardin, ce ne fut point sans larmes & soupirs, & sans dire maintes fois :

« Hélas, estoit ce pour cela que vous m’aimiez ? Si je l’eusse pensé ! Mon Dieu, que feray je ? Me