Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome III.djvu/87

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
73
XLVJe NOUVELLE

— Mais dictes plustost, » dist Hircan, « que c’estoyt une sotte & folle mère, qui, soubz couleur d’ypocrisie, donnoyt tant de privaulté à ceulx qu’on ne doibt jamais veoir que en l’église.

— Vrayement, » dist Parlamente, « je la confesse une des sottes mères qui oncques fut, &, si elle eust esté aussi saige que la Jugesse, elle luy eust plustost faict descendre le dégré que de monter. Mais que voulez vous, ce Diable demi-Ange est le plus dangereux de tous ; car il se sçaict si bien transtigurer en Ange de lumière que l’on faict conscience de les soupsonner telz qu’ilz sont &, me semble, la personne qui n’est poinct soupsonneuse doibt estre louée.

— Toutesfoys, » dist Oisille, « l’on doibt soupsonner le mal qui est à éviter, principalement ceulx qui ont charge ; car il vault mieulx soupsonner le mal qui n’est poinct que de tumber par sottement croire en icelluy qui est, & n’ay jamais veu femme trompée pour estre tardive à croire la parolle des hommes, mais ouy bien plusieurs, par trop bien promptement adjouster foy à la mensonge ; par quoy je dictz que le mal qui peult advenir ne se peut trop soupsonner en ceulx qui ont charge d’hommes, de femmes, de villes & d’estatz ; car, encores quelque bon guet que l’on face, la meschanceté & les trahisons règnent assez, & le pasteur qui n’est vigilant sera toujours trompé par les finesses du loup.

— Si est ce, » dist Dagoucin, « que la personne soupsonneuse ne peult entretenir ung parfaict amy, & assez sont séparez par ung soupson.

— Seullement, si vous en sçavez quelque exemple, » dist Oisille, « je vous donne ma voix pour la dire.