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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome III.djvu/90

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Ve JOURNÉE

recevoit ses gages plus tost & d’autre façon qu’elle n’eust voulu, & toutesfois elle ne laissoit pour cela de continuer en ses lamentations & quelques fois jusques à injures, par quoy le jeune homme s’irrita en sorte qu’il la battit à sang & marque, dont elle se print à crier plus que devant, & pareillement ses voisines qui sçavoient l’occasion ne se pouvoient taire, ains crioyent publiquement par les rues, disans :

« Et fy, fy de tels maris ! Au diable ! au diable ! »

De bonne encontre le Cordelier de Valles passoit lors par là, qui en entendit le bruit & l’occasion. Il se délibéra d’en toucher un mot le lendemain à sa prédication, comme il n’y faillit pas, car, faisant venir à propos le mariage & l’amitié que nous y devons garder, il le collauda grandement, blasmant les infracteurs d’iceluy & faisant comparaison de l’amour conjugale à l’amour paternelle, & si dist entre autres choses qu’il y avoit plus de danger & plus griefve punition à un mary de battre sa femme que de battre son père ou sa mère :

« Car, » dist-il, « si vous battez vostre père ou vostre mère, on vous envoyra pour pénitence à Rome ; mais, si vous battez vostre femme, elle & toutes ses voisines vous envoyront à tous les Diables, c’est à dire en Enfer. Or regardez