Aller au contenu

Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome III.djvu/93

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
79
XLVJe NOUVELLE

que je croirois bien qu’il y auroit plus de danger de les escouter en secret que de recevoir publiquement des coups d’un mary qui, au reste de cela, seroit bon.

— À la vérité, » dist Dagoucin, « ils ont tellement descouvert leurs menées de toutes parts que ce n’est point sans cause que l’on les doit craindre, combien qu’à mon opinion la personne qui n’est point soupçonneuse est digne de louange.

— Toutesfois, » dist Oisille, « on doit soupçonner le mal qui est à éviter, car il vault mieux soupçonner le mal qui n’est point que de tomber par sottement croire en celuy qui est. De ma part je n’ay jamais veu femme trompée pour estre tardive à croire la parole des hommes, mais ouy bien plusieurs pour trop promptement adjouster foy à leur mensonge. Par quoy je dy que le mal qui peut advenir ne se peut jamais trop soupçonner de ceux qui ont charge d’hommes, femmes, villes & estats, car, encores quelque bon guet que l’on face, la meschanceté & les trahisons règnent assez, & le pasteur qui n’est vigilant sera tousjours trompé par les finesses du loup.

— Si est ce, » dist Dagoucin, « que la personne soupçonneuse ne peut entretenir un parfaict amy, & assez sont séparez pour un soupçon seulement.

— Si vous en sçavez quelque exemple, » dist Oisille, je vous donne ma voix pour le dire.

— J’en sçay un si véritable, » dist Dagoucin, « que vous prendrez plaisir à l’ouïr. Je vous diray, mes Dames, ce qui plus facilement rompt une bonne amitié : c’est quand la seureté de l’amitié commence à donner lieu au soupçon ; car, ainsi que croire l’amy est le plus grand honneur qu’on luy puisse faire, aussi se