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Ve JOURNÉE

L’un des deux se maria ; toutesfoys pour cela ne laissa il à continuer sa bonne amityé & tousjours vivre avec son bon compagnon comme il avoyt accoustumé, &, quant ilz estoient en quelque logis estroict, ne laissoyt à le faire coucher avecq sa femme & luy ; il est vray qu’il estoit au milieu. Leurs biens estoient tous en commun, en sorte que, pour le mariage ne cas qui peut advenir, rien ne sçeut empescher ceste parfaicte amityé.

Mais, au bout de quelque temps, la félicité de ce Monde, qui avecq soy porte une mutabilité, ne peut durer en la maison qui estoit trop heureuse, car le mary oublia la seureté qu’il avoyt à son amy sans nulle occasion de luy & de sa femme, à laquelle il ne le peut dissimuller & luy en tint quelques fascheux propos, dont elle fut fort estonnée, car il luy avoyt commandé de faire en toutes ses choses, hors mys une, aussi bonne chère à son compagnon comme à luy, & néanmoins luy défendoit parler à luy si elle n’estoit en grande compaignye, ce qu’elle feit entendre au compaignon de son mary, lequel ne la creut pas, sçachant très bien qu’il n’avoyt pensé de faire chose dont son compaignon deust estre marry, & aussy qu’il avoit accoustumé de ne celler rien, luy dist ce qu’il avoyt entendu, le priant de ne luy en celler la verité, car il ne vouldroyt