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NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS

point sans offenser Dieu puisqu’elle se pouvoit délivrer de la mort ; & se la pourchasser & avancer ainsi, cela s’appelle proprement se tuer soy-mesme ; ainsi plusieurs de ses pareilles qui, par ces grandes continences & abstinences de ces plaisirs, se procurent la mort, & pour l’ame & pour le corps. » — Brantôme, Dames galantes, Discours i ; éd. Lalanne, IX, 209-11.

— « J’ay ouy parler d’une fort honneste Dame & de réputation, laquelle venant à estre malade du mal d’amour qu’elle portoit à son serviteur, sans vouloir hazarder ce petit honneur qu’elle portoit entre ses jambes, à cause de cette rigoureuse loy d’honneur tant recommandée & preschée des marys, & d’autant que de jour en jour elle alloit bruslant & seichant de sorte qu’en un instant elle se vid devenir seiche, maigre, allanguie, tellement que, comme auparavant, elle s’estoit veue fraische, grasse & en bon point, & puis toute changée par la connoissance qu’elle en eust dans son miroir : « Comment », dit-elle alors, « seroit-il donc dit qu’à la fleur de mon aage, & qu’à l’appétit d’un léger point d’honneur & volage scrupule, pour retenir par trop mon feu, je vinsse ainsi peu à peu à me seicher, me consommer & devenir vieille & laide avant le temps, ou que j’en perdisse le lustre de ma beauté qui me faisoit estimer, priser & aimer, & qu’au lieu d’une dame de belle chair je devinsse une carcasse, ou plustost une anatomie, pour me faire chasser & bannir de toute compagnie & estre la risée d’un chacun ? Non, je m’en garderay bien, mais je m’aidray des remèdes que j’ay en ma puissance ». Et, par ainsi, elle exécuta tout ce qu’elle avoit dit &, se donnant de la satisfaction & à son amy, reprit son embonpoint & devint belle comme devant, sans que son mary sçeust le remède dont elle avoit usé, mais l’attribuant aux Médecins, qu’il remercioit & honoroit fort, pour l’avoir ainsi remise à son gré pour en faire mieux son profit.

« J’ay ouy parler d’une autre bien grande, de fort bonne humeur & qui disoit bien le mot, laquelle estant maladive, son Médecin luy dit un jour qu’elle ne se trouveroit jamais bien si elle ne le faisoit ; elle soudain répondit : « Eh bien, faisons-le donc. » Le Médecin & elle s’en donnèrent au cœur joye, & se contentèrent admirablement bien. Un jour, entre autres, elle luy dit : « On dit partout que vous me le faites ; mais c’est tout un, puisque je me porte bien », & franchissoit tousjours le mot galant qui commence par f., « &, tant que je pourray je le feray, puisque ma santé en dépend. » Ces deux Dames ne ressemblent pas à cette honneste Dame de Pampelonne, que j’ay dit encore ci-devant, dans les Cent Nouvelles de la Reyne de Navarre, laquelle, estant devenue esperdue-