Page:Marguerite de Navarre - Les Marguerites de la Marguerite des Princesses, t. 4, éd. Frank, 1873.djvu/229

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
217
LA COCHE.

Serois je bien sy meschante et traytresse
Le recevoir, voyant qu’il fait mourir
Par son peché ma compagne en tristesse ?
J’aymerois mieux me voir par mort perir,
Qu’en la voyant porter si grand tourment,
Je feisse rien pour ceste Amour nourrir.
En sa faveur je laisse entierement
Voir le parler où se puisse attacher
L’œil et le cœur d’un si meschant Amant.
Je l’aymois tant et le tenois si cher,
Quand il l’aymoit, comme s’il m’eust aymée ;
Mais maintenant ne le veux approcher.
S’amye estoit digne d’estre estimée.
Il devoit bien pour jamais s’y tenir.
Et elle aussi d’aymer n’estoit blasmée.
Dames, celuy qui veult mien devenir,
Je n’en veux point, et son Amour me fasche ;
L’autre, que j’ayme, je ne puis retenir.
L’un est meschant, trop variable et lasche,
Lequel me suyt, et toujours je le fuys :
S’amye et moy avons trop ferme attache.
Celuy me fuyt que j’ayme et que je suis ;
Je l’ay perdu, et si ne le puis croire.
Helas ! jugez en quel travail je suis !
Je n’ay plus rien, sinon que la memoire
Du bien passé, qui entretient mon dueil.
Je croy que nul n’ha veu pareille histoire.