Page:Margueritte - À la mer, 1906.djvu/15

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

fils. S’imaginait-elle qu’il jouât encore aux billes ? Ne savait-elle pas quel mépris il avait pour les camarades brutaux et prosaïques et qu’il passait ses récréations, non à courir, mais à discuter avec un ou deux amis, en des causeries philosophiques, les plus graves questions, telles que l’immortalité de l’âme, ou l’avenir des races latines ? Comme preuve irréfutable de sa supériorité, n’avait-il pas obtenu le second prix de composition française et un accessit d’histoire ? Qui lui aurait dit qu’au lieu de s’avouer satisfaite et, disons le mot, reconnaissante, fière même entre toutes les mères, Mme Janville lui glisserait, entre deux baisers :

— C’est très bien, mais j’attendais mieux de toi, mon enfant !

Injustice, injustice de ceux qui nous aiment le mieux ! Et Albert parut s’enfoncer dans une méditation profonde, un peu triste, mais pleine de dignité et qui signifiait clairement que le mérite a toujours été méconnu, mais qu’il ne faut pas désespérer que sa splendeur éclate, un jour, à tous les yeux. On verrait bien, dans quelques années ! Le nom d’Albert Janville serait peut-être célèbre ; à quel titre ? Grand savant, général fameux, acteur égal à Talma, homme politique, on ne savait