Page:Margueritte - À la mer, 1906.djvu/16

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encore ; mais ne tenait-il pas, dans sa main, l’œuf de fée prêt à éclore, le magique talisman de la jeunesse apte à tout, vorace d’ambition, ivre de vie ? Pourquoi ne donnerait-il pas un lustre inattendu, prestigieux, au nom de son père, ingénieur de talent, mort obscurément d’une insolation, victime des chantiers de Panama ? Il songeait à ce père, qu’il avait peu connu, dont il ne se rappelait qu’un puissant visage barbu, des yeux sévères, une voix forte. Sa mort avait laissé aux siens des, ressources très modestes. Ce souvenir entretenait, dans l’esprit d’Albert, l’oppression confuse de la vie stricte à laquelle il sentait sa mère et lui condamnés, la rancœur qu’il éprouvait à rencontrer des camarades roulant en voiture, habillés de neuf et de clair, la privation des plaisirs qu’il eût aimés, tels que le théâtre, apprendre à monter à cheval, etc. Il souhaitait passionnément une bicyclette, et sa mère, sans la lui refuser positivement, alléguait la dépense, atermoyait.

« Non, pensait Albert, non, ce n’est pas la vie heureuse, le bonheur, l’indépendance, la richesse auxquels j’ai droit ! » Et au lieu de se dire qu’il ne tenait qu’à lui de travailler de toutes ses forces afin de se créer plus tard une situation conforme à