Page:Margueritte - À la mer, 1906.djvu/18

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Elle le toisa d’un œil de reproche étonné et attristé, et, pour la millième fois, se reprocha intérieurement d’être une mère trop faible, qui ne savait pas se faire craindre. Ce qui ne l’empêcha pas, dans sa tendresse charmante et absurde, interprétant l’insolence d’un bâillement qu’Albert comprimait mal comme l’indice d’une faim justifiée par l’heure du goûter, de lui demander, en atteignant un nécessaire d’où elle s’apprêtait à tirer du pain et une tablette de chocolat :

— Veux-tu manger ?

Il la foudroya d’un regard de suprême dédain, à cause des voyageurs qui s’étaient retournés vers eux, et, dissimulant sa blessure d’amour-propre — (était-il un enfant pour faire la dînette ?…) — il ébaucha un geste de refus souriant et supérieur, d’une ironie profonde.

Oh ! moi, j’ai faim, fit Mme Janville, et bonnement, elle croqua un peu de pain et de chocolat, en lui affirmant :

— Tu as bien tort, je t’assure !

Il détourna la tête avec mépris et essaya d’affronter le regard perspicace et insistant du vieux monsieur à lunettes ; il n’y parvint pas et se sentant rougir, comme si le vieillard lisait à livre