Page:Marie-Victorin - Croquis laurentiens, 1920.djvu/119

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
113
LE COUCHANT

La même réminiscence est-elle venue aux deux enfants que je vois là-bas traîner un canot sur les crans ? J’admire l’harmonie de leurs mouvements. Nu-jambes dans l’argent liquide, ils soulèvent en marchant des cordons de varech. Ils crient et commandent tous deux la manœuvre. Les voilà ! Ils sautent dans l’embarcation maintenant à flot, et, debout sur les bancs, progressent à la perche.

Mes yeux les quittent pour se poser sur une goélette abandonnée au sec et dont le soleil enfonce les mâts dans la mare en face. Faite pour être frôlée par le petit flot court du Saint-Laurent, elle a vraiment l’air d’une chose desséchée, vidée, d’une chose en prison. Autour d’elle, sur la verdure, les ombres démesurées et nettes propres à cette heure du jour, s’allongent, soulignent d’un trait robuste les choses les plus communes et les font ressortir en beauté. Voyez la vieille grange bancale et en surplomb — on ne voit plus cela qu’ici — dont le soleil redore pour une heure le chaume noirci ! Et telle est la magie de cette lumière vierge qu’elle rend presque beaux aussi les porcs demi-gras qui paissent sur le chemin, le bon vieux chemin de l’île-aux-Coudres, pitoyable aux bêtes comme aux gens.

Un roulement sourd sur le pontage tire mes yeux de ce côté. Une charrette, l’une de ces petites charrettes à deux roues légères et solides,