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LE PETIT LAURENT

ment sincère quand on corrige un enfant de quatre ans — prestige tout-puissant de l’innocence et de l’espérance…

Dans tous ces yeux mouillés, je lis ce que personne ne dit et ce qui roule dans tous ces cerveaux. Le médecin ! Il n’y en a pas à l’Île-aux-Coudres, et ces braves gens, l’hiver surtout, sont livrés sans secours à tous les caprices de la maladie imprévue, de l’accident stupide. Quand la Baie est calme, cela va encore : on traverse au Nord, à la Baie Saint-Paul, aux Éboulements, et l’on ramène à prix d’or le premier médecin venu. Mais quand la glace voyage ou que le vent souffle fort, c’est presque une impossibilité et il faut recourir aux remèdes de bonne femme.

On se regarde indécis. La mère de l’enfant, mandée en hâte, arrive. Elle ne dit rien et, brusquement, repart en coup de vent. Le père Desgagnés est sur la galerie. Il regarde le fleuve, la danse des goélettes sur leurs ancres, les perches de la pêche aux marsouins, courbées comme des roseaux, et là-haut, dans le ciel plombé, les gros nuages gris qui passent en déroute. Il enfonce à deux mains sa casquette de navigateur et regarde, regarde, les yeux fous. Évidemment il pèse dans son esprit les possibilités de traverser au Nord. La lame est grosse, mais il trouvera des hommes de cœur. François Bouchard, qui, tous les jours, traverse le monde et le butin, ne refusera pas de