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CROQUIS LAURENTIENS

Car Anticosti est tout cela.

Il s’est trouvé un homme, disposant du puissant levier de l’argent, pour tenter d’arracher cette terre immense et déserte à la virginité de la nature. Mais ici, la nature, maîtresse depuis toujours, habituée à tout courber sous la fatalité de ses lois, ne cède pas facilement son domaine cent fois millénaire. Aussi, malgré les splendeurs du Château Menier, Anticosti reste terre sauvage, terre inconnue. Qui a pénétré un peu loin à l’intérieur ? Dix ou quinze blancs peut-être ? Cet intérieur on l’imagine couvert de forêts sombres et de tourbières, ponctué de lacs — on en découvrira encore, longtemps — parcouru de rivières peu profondes qui coulent en chantant doucement sur le marbre. Mais, qu’en sait-on, au juste ?

Ce que l’on peut voir d’Anticosti, ce qu’il faut en voir sous peine de ne rien comprendre à ce pays étrange, c’est la côte, le Reef comme on dit là-bas. Ce Reef est quelque chose de bien particulier, de bien anticostien, et qui résulte de la structure géologique de l’Île, vaste plateau de calcaires siluriens séparé de la Gaspésie, à des âges très anciens. Ces calcaires, qui ont conservé leur horizontalité, s’empilent régulièrement les uns sur les autres et viennent surplomber la mer. À la phase géologique où nous sommes, l’île — sous l’action de causes inconnues — s’exhausse très vite, annulant le travail d’érosion