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LA POINTE-AUX-GRAINES

de la mer qui bat la plage. Il en résulte qu’une plate-forme littorale, d’un à deux milles de largeur, encercle presque complètement Anticosti ; c’est le Reef. À marée haute, le Reef est entièrement couvert ; à marée basse, il permet à une voiture solidement construite de cahoter lentement le long du rivage… Et c’est le seul moyen de voyager par terre autour de l’Île.

Quelqu’un, un vieillard, grand-père aimé et respecté de tous, règne sur ce domaine, et son sceptre est sa bonne pipe bourrée de bon tabac canadien. M. Alfred Malouin a une belle tête blanche pleine d’histoires, un verbe chaud et un cœur d’or. Cet anticostien passionné a besoin pour vivre de voir la mer et de l’entendre. Il en parle — de la mer — avec des mots d’amour qui pénètrent même les malheureux dont elle a fortement rançonné le foie et l’estomac. Or donc, connaissant notre projet d’inventorier les richesses végétales de la côte, l’aimable gouverneur avait mobilisé le p’tit Joseph Duguay, son meilleur guide, et Bob, modeste et intéressant animal, dur de gueule et d’oreille, blasé sur les hommes et les choses, qui ne mène pas vite mais loin, qui sait que le Reef a trois cents milles et qu’il serait idiot de se presser, qui connaît tous les trous et l’heure des marées, Bob enfin, perle de l’espèce chevaline et vétéran du Reef !