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Page:Marie-Victorin - Croquis laurentiens, 1920.djvu/135

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LA POINTE-AUX-GRAINES

coussins de mousse sont piqués de fleurs, de pâles fleurs du nord, toutes menues mais toutes belles : rosettes enfarinées des primevères, mignonnes parnassies, avec çà et là les épis interrompus des verges d’or, simulant des chaînes de bijoux posées sur de la peluche.

La virginité du paysage serait parfaite sans les épaves de tous genres, enlacées par les longs rubans de goémon, et qui accusent que l’homme est là, qu’il passe depuis de longs siècles au large de cette côte ennemie. Il y a de tout sur le Reef anticostien ! Carcasses de vieux voiliers posées au sec par les grand’mers, ossements d’animaux, vertèbres de baleines et de cachalots, caisses vides roulées par le flot et portant des inscriptions de firmes de Londres ou de Glasgow, énormes poutres de bois carré répandues à l’orée de la forêt, — et devant lesquelles ont déjà poussé de vieux arbres ; tout cela parle de naufrages, d’anciens et terribles naufrages au temps déjà lointain de la navigation à voile et du commerce du bois carré. Si toutes ces pauvres choses gluantes et vermoulues avaient une âme parlante, que de récits terrifiants on entendrait sur le Reef, le soir, à l’heure où les goélands se taisent !…

Ah ! combien de marins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines
Dans ce morne horizon se sont ensevelis !…