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LE VIEUX LONGUEUIL

Et la liste se continue, glorieuse, sur les stèles, tout autour de l’obscur mémorial, arrivant jusqu’aux barons d’aujourd’hui, les Grant de Blairfindie, anglais et protestants.

Disons-le en passant et sans y insister : quelle tristesse qu’un si beau sang n’ait pas su rester français, et soit allé enrichir l’armorial britannique !

Les Le Moyne ne sont plus, mais il reste aux excentriques qui, en ces jours de démolition universelle, ne veulent pas renier l’héritage du passé, la liberté de se souvenir. Pour moi, il m’est impossible de descendre jusqu’à la grève où le ruisseau Saint-Antoine, — bien déchu depuis le temps où il faisait tourner les moulins, — se perd dans les joncs fleuris, sans revenir à trois siècles en arrière et revoir toute la scène, là, sous mes yeux :

En 1675. Beau soir d’été.

De grands ormes forment rideau devant le défrichement commencé et, penchés sur la rive, les saules flexibles balancent leur feuillage luisant. L’eau est toute bleue, le firmament vierge, et, sur le fond mauve de l’horizon, c’est la hachure noire des arbres, partout.

Parti du Pied-du-Courant, un grand canot file droit sur nous. Les deux avirons, vigoureusement maniés, rythment la marche. Nous distinguons maintenant la fine proue d’écorce et les deux lignes d’eau qui fuient, derrière, sur le miroir brisé.