ses compatriotes, Dugas, dans le désordre de l’embarquement, se trouva séparé de sa femme Julie. Dirigé d’abord sur Boston, parqué ensuite à Salem avec un groupe d’infortunés, Dugas, comme les autres, y mangea le pain de la misère dans le French Borough. Mais le pauvre homme, naturellement affectueux, ne pouvait se faire à la séparation d’avec sa Julie ! Animé d’un vague espoir, il se mit à parcourir les bourgs de la Nouvelle-Angleterre, répétant inlassablement au seuil de chaque porte, la seule phrase anglaise qu’il eût apprise :
— Did you see my Julie ?
Personne, hélas ! n’avait vu sa Julie, et les Puritains, au lieu du pain du cœur que cherchait le malheureux, garnissaient son bissac de croûtons. Toujours marchant, ayant franchi des centaines de milles à travers monts et forêts, croisé des détachements de soldats, Dugas atteignit le lac Champlain et descendit le Richelieu. Il entendait maintenant parler sa langue, et à tous les forts, à tous les postes militaires, à toutes les maisons aussi, il se disait, en regardant avidement par les portes ouvertes :
— Elle est peut-être ici !
Et bravement, son grand chapeau à la main, les genoux un peu ployés par l’habitude de la route, il posait l’éternelle question :
— Avez-vous vu ma Julie ?