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CROQUIS LAURENTIENS

Sept, huit, dix milles !… Une heure, et bientôt, au nord, grandit notre Terre Promise, la terre de Brion. Et de voir la grande sentinelle blanche, au port d’armes sur la hauteur, nous nous demandons avec inquiétude si ce paradis n’a pas son incorruptible chérubin et si nous n’allons pas être reconnus comme d’authentiques rejetons des deux coupables de l’Éden !… Mais non ! ce n’est que le phare : cœur de pierre, mais pas méchant du tout ! Et Brion se précise, se colore, développe la ligne de son rivage, et, tout à coup, au détour d’une pointe avancée, nous offre une anse pour atterrir. Enfin !

Brion est la seule des Îles de la Madeleine qui ait su garder, à peu près, ses cinq milles de virginité, la seule qui soit pour une grande part couverte de forêt, la seule aussi qui puisse nous renseigner sur la prime jeunesse de l’archipel, sur la physionomie des lieux, lorsque, par ce beau jour de juin de l’An du Seigneur 1534, le malouin Cartier jeta l’ancre en vue de cette terre dont il fit honneur à son protecteur, l’amiral Brion-Chabot.

Faut-il sourire de l’enthousiaste description tracée par la plume naïve du rude voyageur, et l’attribuer à la délicieuse sensation de l’homme qui, depuis des mois, captif de quelques planches ballottées, se trouve tout à coup, dans la douceur