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CROQUIS LAURENTIENS

trop basses pour être distinguées à cette distance, mais les trois cônes du Cap-de-l’Est, eux, sont bien visibles, adossés à contre-jour sur l’horizon en feu. De loin, c’est un fragment perdu de sierra, trois dents de scie entre lesquelles le soleil s’introduit, en ouvrant un éblouissant éventail japonais où des dragons blancs, qui sont des nuages, jouent sur le déployé du rouge irradiant. La fantasmagorie se répète docilement sur la houle miroitante et allume des éclairs d’acier aux moindres arêtes liquides. Mais telle est la rapidité avec laquelle la nuit gagne, qu’à chaque instant les ors et les émaux se transmutent, la magie des couleurs s’évanouit un moment pour reparaître au flot suivant, moins brillante et maquillée de neuf, briller l’espace d’une vague, et mourir encore.

Sans trop raisonner cette impression, il me semble alors que cette soirée si belle est un bouquet d’artifice, un chant du cygne, et que la tournée des îles finit vraiment ici. Je l’exprime à mon ami, sur le banc, près de moi, avec d’autres sentiments plus intimes. Ensemble, nous ne pouvons jouir qu’en passant de l’incomparable apaisement de cette nature millénaire, qui réagit si heureusement sur nos êtres d’agitation et de mouvement. Il nous faut, tantôt, dans quelques jours, retourner au grand bruit que fait le monde. Nous y retournerons d’une âme pareille, vibrant