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LA TRAVERSE

sur une charge de balais de branches, fumer leur pipe en supputant la recette. Ce ne sont là que quelques notations, quelques couleurs, mais comment peindre au naturel le protéisme du flot humain qui passe ! Mieux vaudrait essayer, avec un vrai pinceau, de jeter sur la toile cette inexprimable glaucescence des eaux vivantes que les aubes des grandes roues font bouillonner autour de nous !

Mais voici Longueuil ! La dentelle devient une forêt où se cache le village, la ville, si vous y tenez. La grève, toute rose de joncs fleuris, monte insensiblement jusqu’à la blancheur liliale des chalets en sentinelle sous les ormes. Mais que font donc, près du rivage ces deux sauriens d’acier, qu’on dirait échappés d’un musée paléontologique, et dont le cou noir s’allonge, sinistre, au-dessus de l’escadrille des canots en danse sous la brise ? Des dragues, sans doute !

D’instinct, on se retourne, pour jouir du contraste. Ici, le vert, l’espace, la fraîcheur ; là-bas, sur l’autre rive, un mouvant rideau de fumée qui n’arrive pas à dissimuler la laideur carrée des usines, le prosaïsme des gazomètres et le jet brutal des hautes cheminées.

Un son de cloche, qui se perd dans le tapage des eaux rebroussées ! Le pilote se raidit à la roue. Doucement, sans heurt, le flanc du bateau frôle le limon du quai de bois. D’un geste sûr,