Page:Marie-Victorin - Récits laurentiens, 1919.djvu/89

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Neuf heures. Que faire ce matin ? Les dernières pluies ont brouillé l’eau du grand ru’sseau… Et puis, pas de copains aujourd’hui ! Derrière la grange, je vois Fred, là-bas, qui se tord comme un ver sur le levier du grand râteau. Plus loin, Willie fait des vailloches. À tout hasard, nu-tête, les mains dans les poches, je sors sur la galerie. Le soleil y donne en plein ! et Boule, le museau sur les pattes, se chauffe paresseusement. Mais voilà qu’en m’avançant jusqu’au bout pour taquiner la bonne bête, ô horreur ! je vois sur le renchaussage un spectacle qui me cloue sur place ! Au moment d’écrire cela, je tremble encore de colère ! Oui ! toute ma récolte, toutes les cultures dont j’étais si fier : blé, avoine, sarrasin, tout était renversé, pillé, arraché, mangé ! Mon hangar lui-même était en miettes et mon roulant éparpillé dans l’herbe, au pied du renchaussage ! Dévastation sans nom et sans parallèle dans ma courte histoire !

Il est bien connu, n’est-ce pas, que les grandes douleurs sont muettes. La mienne le fut pendant quelques instants. Je sentais le mal absolu et sans remèdes. Mais le désir si naturel de la recherche des causes me sauta vite au cerveau :

— Ma tante ! ma tante ! m’écriai-je en rentrant à la course dans la maison.