Page:Marie-Victorin - Récits laurentiens, 1919.djvu/92

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D’apprendre que mon oncle Jean avait donné trois ou quatre bonnes claques sur le museau de la jument de Baptiste, cela me consola un peu.

— Pleure pas ! continua ma tante. L’année prochaine je te donnerai un grand carré dans le jardin, et c’est pas la jument de Baptiste qui te mangera ton grain ! Pleure pas ! Mets ça au pied de la croix !

Ce qui m’enragea le plus, ce fut de subir les condoléances hypocrites des veilleux, ce soir-là. Tout le monde voulut mesurer l’étendue du désastre. Médée Lavigne assura d’un air félin que c’était le plus beau blé de la paroisse. Aimé Pâquin, naturellement, déplora surtout la perte du sarrasin. Quant à Baptiste Juneau, lorsque je le vis encadrer dans la porte sa tête de citrouille et ses oreilles de chauve-souris, le sang ne me fit qu’un tour. Mais la mesure déborda lorsque s’étant assis, il voulut plaisanter sur l’événement. J’entrai dans une belle colère et le clouai sur sa chaise en lui disant sans forme, à la joie mal dissimulée de tous les veilleux :

— Vous, si vous donniez à manger à votre jument, elle ne se bourrerait pas avec le butin des autres !…