Page:Marie-Victorin - Récits laurentiens, 1919.djvu/97

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La petite rente qu’il allait toucher chaque mois à Saint-Christophe lui permettait de pensionner chez Médée Lavigne, notre voisin d’en face, qui lui cédait la moitié de son grenier. Fort comme un bœuf, Charles aidait volontiers aux travaux lorsque l’ouvrage pressait et c’était plaisir alors de lui voir abattre d’une faux terrible le grand mil de la terre noire. Mais, plus souvent qu’autrement, il se tenait dans son grenier, assis à une petite table devant l’étroite lucarne, la tête dans les mains, plongé dans la lecture de quelque vieux livre.

Combien de fois, mon ami Fred et moi, n’avons-nous pas grimpé à pas de loup l’escalier sans rampe qui menait chez Charles Roux ! Nous éprouvions une curiosité intense à le voir ainsi, sous l’ombre douce du chapeau de paille, immobile comme une statue, les sourcils froncés, ne remuant un instant que pour tourner une page. Ni Fred ni moi n’étions des intellectuels : le soleil, les ruisseaux et les buissons absorbaient toute notre activité cérébrale. Nous n’arrivions pas à comprendre pourquoi, n’y étant aucunement obligé, le pauvre diable se condamnait à étudier sans cesse d’interminables leçons… Évidemment les gens du rang avaient raison !… Charles était fou !… À preuve encore : à côté