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Page:Marie Nizet - Le capitaine vampire.djvu/84

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et, en cet équipage, les quatre amis et le petit Roumain arrivèrent sans encombre chez Liatoukine, c’est-à-dire dans la maison de feu l’aga que Boris avait envoyé ad patres.

Outre les sommes provenant des contributions légales, ce fonctionnaire percevait, de son vivant, les revenus d’une foule de petits impôts qu’il avait établis à son profit particulier. Dans les appartements, les splendeurs orientales se mêlaient au luxe européen ; ce n’était partout que divans de brocart et glaces de Venise, le tout quelque peu endommagé par le fait des boulets qui avaient heureusement épargné les bouteilles de vins d’Espagne et de France dont regorgeaient les caves de ce bon musulman qu’on disait avoir été excessivement dévot. Le cellier de l’aga fut immédiatement mis au pillage par ces jeunes fous qui voulaient renouveler, dans des proportions sardanapalesques, le souper de l’hôtel Hugues. Les mines effarouchées et les grosses naïvetés de Mlle Aurélie, qui ne devinait guère le sort qu’on lui réservait, arrachaient des pleurs d’hilarité aux officiers, et la figure impassible de Liatoukine, présidant cette orgie, faisait songer au squelette que les anciens exposaient pendant les repas, afin que les orbites creuses et ce rictus sinistre rappelassent aux convives le peu de durée de la vie humaine. Mais la vue de Boris n’évoquait aucune idée funèbre dans ces têtes troublées par un commencement d’ébriété.

— Et tu a fait tes études au collége Mabille ? dit Bogoumil à Rélia avec tout ce qu’il put mettre d’intérêt dans la voix.

— Vous vous trompez, s’écria Mlle Aurélie avec un sourire candide, Mabille, ce n’est pas un collége, c’est un bal. Moi, j’étais au lycée Louis-le-Grand…