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LAI DE L’ÉPINE

courir l’un sur l’autre ; ils s’atteignent si rudement, que la force du coup fait fendre leurs boucliers ; aucun d’eux ne quitta les étriers, tant ils étoient bons cavaliers. Le prince porta un si terrible coup à son adversaire, qu’il eût été jeté à terre, si, dans sa chute, il ne s’étoit retenu au col du cheval. Il s’éloigne pour laisser le temps à son rival de se remettre en selle ; au retour il le trouve prêt à fournir une nouvelle carrière. Les guerriers se couvrent de leurs écus, tirent leurs épées, et se portent de si grands coups, que les boucliers sont mis en pièces ; mais aucun d’eux n’abandonne la selle[1].

  1. On aura dû remarquer que cette expression ils ne quittèrent pas la selle, est plusieurs fois répétée. En effet, le grand art de la joute ou du combat à cheval, consistoit à savoir opposer adroitement son écu pour parer le coup, et sur-tout de bien se tenir en selle. Le cavalier désarçonné étoit enlevé, et jeté à huit ou dix pas au loin ; la pesanteur de l’armure l’empêchant de pouvoir se relever, sitôt après sa chûte, l’homme renversé étoit à la merci du vainqueur, dans les combats à outrance. Souvent il arrivoit aux jouteurs habiles d’être renversés avec leurs chevaux, et alors, si ce dernier ne vidoit pas les arçons, il n’étoit pas censé vaincu. Aussi étoit-il sévèrement défendu de se faire attacher à la selle ; et dans les tournois, les hérauts étoient chargés de s’en assurer.