Page:Marin - Vies choisies des Pères des déserts d'Orient, 1861.djvu/76

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cassien rapporte de lui une parabole fort ingénieuse dont il se servit pour détourner un religieux d’abandonner sa retraite, sous prétexte d’aller travailler dans les villes au salut du prochain ; car c’était là une tentation dont le démon se servait souvent pour dégoûter les moines de leur solitude. « Il y avait dans une ville, dit l’abbé Macaire à ce religieux, un très-habile barbier qui ne recevait que trois sous de chacun de ceux qu’il rasait ; mais le nombre des personnes qui s’adressaient à lui étant fort grand, il ne laissait pas, après avoir pris pour son entretien, d’épargner tous les jours cent sous. Tandis qu’il faisait ce gain régulier, il apprit que, dans une ville fort éloignée, on ne donnait pas moins d’un quart d’écu pour se faire raser. « Hélas ! dit-il alors, pourquoi perdre ici mon temps ? J’ai bien de la peine pour trois sous, et je puis m’enrichir dans cette ville. » Il ne délibéra pas davantage, et, vendant ce qu’il avait pour s’équiper, il arriva dans cette ville où il se promettait un si grand gain. Il trouva que ce qu’on lui avait dit était vrai. Il recevait autant de testons qu’il rasait de personne ; et, se voyant le soir avec beaucoup d’argent, il alla au marché pour acheter de quoi se nourrir, mais tout y était à un si haut prix, que pour avoir précisément ce qu’il fallait pour vivre, il dépensa tout ce qu’il avait gagné, sans qu’il lui restât même un sou.

« Quand il eut remarqué durant quelque temps que c’était toujours la même chose, et que ce grand gain, bien loin de lui donner moyen d’amasser quelque chose, ne suffisait pas même pour la dépense de chaque jour, il rentra en lui-même et dit : « Il faut que je retourne dans mon ancienne ville, et que j’aille rechercher ce petit gain d’autrefois, qui ne laissait pas, après que j’en avais retiré de quoi vivre, de me donner encore moyen d’amasser de quoi me soutenir un jour dans ma vieillesse : quelque petit