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Page:Marin - Vies choisies des Pères des déserts d'Orient, 1861.djvu/94

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solitaire qui avait conduit l’autre lui dit : « Vous avez donc vu ces deux grands personnages ; dites-moi à présent lequel des deux vous estimez davantage ? — C’est, répondit-il, celui qui nous a si bien traités. » Ceci ayant été rapporté aux autres solitaires, un ancien se mit en prière et demanda au Seigneur qu’il lui fît connaître pourquoi Arsène, par l’amour qu’il lui portait, fuyait avec tant de soin la compagnie des hommes, au lieu que, par un effet du même amour, Moïse recevait si bien tout le monde ; sur quoi, étant tombé en extase, Dieu lui fit voir deux bateaux qui voguaient sur le Nil, dans l’un desquels était l’abbé Arsène conduit par le Saint-Esprit, en grand repos et en grand silence ; et dans l’autre était l’abbé Moïse, conduit par les anges de Dieu, qui lui remplissaient la bouche de miel.

Il n’aimait pas que ceux dont il recevait la visite avec moins de peine s’arrêtassent trop longtemps. L’abbé Ammon ou Ammoës, qu’il estimait beaucoup, l’étant venu voir, lui dit au commencement de l’entretien qu’il eut avec lui : « Mon père, que pensez-vous de moi ? — Je vous regarde, lui répondit Arsène, comme un ange. » Après qu’ils eurent conféré assez de temps, et plus qu’Arsène n’aurait voulu, il lui demanda de nouveau ce qu’il pensait de lui. « Je vous regarde, lui dit-il, à présent comme un tentateur ; car, quand vous ne me diriez rien que de bon, c’est autant que si vous me donniez des coups de couteau. »

Un solitaire nommé Marc lui ayant demandé pourquoi il fuyait l’entretien des frères, il lui répondit : « Dieu sait combien je vous aime ; mais je ne saurais être en même temps avec lui et avec les hommes ; car, au lieu que les anges, presque infinis en nombre, n’ont qu’une même volonté, les hommes en ont beaucoup et qui sont très-différentes ; et ainsi je ne saurais quitter Dieu pour converser avec eux. »