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Page:Marinetti - La Ville charnelle, 1908.djvu/109

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LA MORT DES FORTERESSES

À grands cris, d’un grand geste, les Navires implorent
le bonheur de partir en voguant sans effort
comme on prend un essor !… Les vieilles Forteresses
étreignent à deux mains leur vieux cœur en détresse,
et les voilà pareilles à nos vieilles grand-mères
qui connaissaient la mer sauvage de l’amour
et prévoyaient tous ses naufrages…

Ô chétives Grand-mères, j’évoque tout à coup
vos ombres affalées dans les fauteuils profonds,
dont le dossier monumental surgissait
sur votre échine courbe, tel un fantôme
s’évaporant dans le plafond crépusculaire !…
La chambre se fonçait de deuil et de tristesse
et tremblotait sous vos gestes d’ailes blessées…
L’air semblait grenu et rugueux de vieillesse,
et les voix s’efforçaient vainement de grimper
glissant comme des rats en un tuyau d’égout.