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Page:Marius-Ary Leblond - En France, 1909.djvu/19

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comme nation dans le grand Océan Indien, on se sent civilisé avec un élan de vivacité et d’aventure.

Eva Fanjane s’est levée puis s’est rassise, confuse d’avidité, d’impatience, de résignation et d’angoisse. Ses paupières battent, la ligne pleine de sa joue brune se creuse. Ce courrier lui portera-t-il une lettre de Claude ? On est au 7 : il s’est embarqué le 1er… c’est quelques jours auparavant qu’il s’est fiancé à elle devant sa mère et il a fallu qu’il la quittât pour trois ans, pour aller à Paris faire ses études supérieures ; ils se sont embrassés pour la dernière fois dans le jardin : leurs cœurs, refoulés, s’effondraient dans le grand jour plus effarant que la nuit ! il n’avait pas voulu partir sans s’être engagé pour que sa responsabilité lui donnât plus de courage, pour qu’il s’éprouvât davantage un homme devant la vie de Paris à affronter avec décision… Depuis, elle sent constamment l’obsession de ces trois années, au nombre infini de jours, s’étendre au-dessus d’elle. Dans trois années elle aura vingt ans, l’âge qu’il a maintenant. Leur amour de jeunes créoles pour qui l’amour et la fidélité comptent seuls dans l’existence, pour qui le reste n’est qu’enfance ou vieillesse, est plus fort que tout et domine leur sort : elle est belle et elle ne doute pas d’elle, ni de lui, ils seront l’un à l’autre dans trois ans, mais aura-t-il pu écrire par ce courrier ? — Le cœur lui pèse ; sa tête aussi pèse de façon étrange. La vie actuelle est une chose lourde et ballottante comme la mer ; le poids se déplace dans sa tête, dans son cœur. — Elle calcule pour la dixième fois s’il aura eu le temps de croiser à