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Page:Marius-monnier---a-quatre-vingt-dix-mille-lieues-de-la-terre-1906.djvu/7

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— Mes chéris, je vais aller sur la Lune !…

— Hein ! s’écria le neveu en quittant brusquement l’étreinte de son oncle.

— Oh ! papa, voilà que ça te reprend ! dit Cécile en imitant son cousin.

— Non, mes enfants ! s’écria le savant en levant les bras en l’air, non, ça ne me reprend pas ; j’irai dans la Lune ! je monterai vers la douce reine des nuits ! et Adrien lui aussi partira !…

Il est à peu près impossible de dépeindre la figure que fit Adrien en entendant ces paroles.

Quant à Cécile, elle s’échappa doucement sur la pointe des pieds pour aller chercher du vulnéraire ; mais, lorsqu’elle revint, la jeune fille ne put considérer son père comme un malade, car il était en train d’expliquer tranquillement à Adrien les mystères du document métallique.

Vivement, elle plaça sa bouteille et son verre sur la table, puis s’installa près des deux hommes.

— Ah ! vous m’avez cru privé de sens, mes enfants, continua le savant ; eh bien, détrompez-vous : la joie seule, la joie immense m’a rendu semblable à un fou.

Apprenez que les habitants de la Lune, les Sélénites, si vous aimez mieux, ont tracé les signes de ce document. Ils n’ont pas écrit en leur langue ce qu’ils voulaient expliquer, car, vous le pensez bien, c’eût été incompréhensible ; ils ont employé pour cela des dessins, de simples dessins représentant les êtres et les choses.

Ces dessins placés les uns à côté des autres ont joué le même rôle que les hiéroglyphes tracés sur les vieux monuments de l’ancienne Égypte.

C’était là, en somme, un procédé commode et très bien imaginé pour communiquer des pensées à tout être capable de raisonnement ; les Sélénites gens supérieurement intelligents, sans doute, n’ont pas manqué de s’en servir. Et, grâce à ce moyen, moi, Agénor Lancette, j’ai eu, seul sur cette Terre, l’honneur de recueillir une communication des habitants de la Lune !

En prononçant ces derniers mots, Agénor s’était transfiguré, le visage illuminé d’une incommensurable joie.

— Ah ! s’écria le jeune homme, la voilà donc enfin résolue la question de l’habitabilité de la Lune ! Grâce au présent document, nous savons qu’il y a encore des habitants sur ce globe que l’on considère à tort comme un désert de silence et de mort !…

Mais le savant arrêta son neveu d’un geste et dit d’une voix grave :

— Il ne doit plus y avoir d’êtres vivants sur la Lune ; et je crois même pouvoir affirmer, étant donné l’état de cet astre, que le dernier Sélénite est enterré depuis longtemps.

— Enluné, rectifia Adrien.

— Oui, enluné ; c’est juste, mon neveu.

— Mais alors, depuis combien d’années ce document est-il sur Terre ?

— Depuis peut-être cent mille ans !

— Cent mille ans !

— Oui, ne te déplaise, cent mille ans ! si ce n’est davantage !

— Bigre ! Et vous plairait-il, mon oncle, de nous lire les mystérieux hiéroglyphes dont ce document est couvert.

— Assurément, assurément. Approchez tous deux et suivez sur la planche.

Adrien et Cécile se penchèrent avidement sur le carré de metal.


— Voyez, dit Agénor, en plaçant un doigt triomphant sur le document…

— Voyez, dit Agénor en plaçant un doigt tromphant sur le document, il y a d’abord là deux cercles de dimensions inégales représentant en réalité des sphères ; le petit cercle, c’est la Lune ; le grand, c’est la Terre. Remarquez que la différence des grandeurs existant entre ces deux astres est parfaitemet indiquée ; la Lune, vous le savez, est beaucoup plus petite que la Terre. Un trait relie ces deux cercles : cela veut dire qu’il y a une communication, que l’on est venu, et c’est de la Lune que l’on est parti, car, vous devez bien le penser, jamais personne n’a quitté notre globe pour accomplir un pareil voyage ! Regardez maintenant les deux objets qui suivent ; ils ressemblent chacun à un moulin, ou plutôt une hélice faite de quatre branches tournant autour d’une tige. Remarquez que chacune des tiges est terminée à sa base par un carré et que, dans chacun de ces carrés, il y a un personnage. Eh bien, ce sont des nacelles fermées que ces hélices ont à leur base, des espèces de boîtes contenant des êtres venus de la Lune !…

Voyez plus loin. Des hommes prestement dessinés se battent. En grand nombre, ils entourent et attaquent à coups de lances, de haches et de couteaux des personnages très grands qui ont bien l’air d’être les gens dessinés déjà dans les deux nacelles qui précèdent. Les armes dont se servent les petits hommes sont dessinées rapidement et vaguement, mais certains détails me permettent de supposer qu’elles sont faites de silex taillé.

— Oui, je comprends, dit Cécile, de ces armes primitives semblables à celles que tu as là, dans cette vitrine.

— C’est parfaitement cela, répondit Agénor ; et ces assaillants sont des hommes qui existaient à cette époque lointaine, vaguement connue, de la pierre taillée, époque la plus reculée des temps quaternaires.

Suivons le fil du document. Je vois ici deux autres hélices munies de leurs nacelles : l’une d’elles gît à terre avec son carré de la base brisé ; l’autre, au contraire, s’est élevée très haut, et le mystérieux auteur du présent document l’a placée entre deux sphères semblables à celles déjà dessinées au début, mais inversement ; cette derniere hélice munie de sa nacelle retourne donc vers la Lune. Je remarque dans la boîte les deux géants accompagnés d’un des petits hommes qui les ont attaqués.

Assurément, mes chers enfants, ces deux hélices sont les mêmes que celles de tout à l’heure, l’une est restée à terre, l’autre est repartie, voilà tout.

— Avec les deux voyageurs qui emmènent prisonnier un de leurs adversaires, dit le jeune homme.

— Juste, mon cher Adrien.

Et je remarque, continua le savant, que le terrain sur lequel est restée la seconde hélice se trouve garni d’animaux d’un autre âge. Ici, largement mais correctement dessiné, je vois un cerf à longues cornes, et, là, un ours des cavernes, bêtes appartenant à des races disparues à jamais.

En somme, l’aventure s’explique admirablement par ces signes nettement gravés. Deux êtres sont venus de la Lune sur la Terre, y ont été attaqués par un certain nombre de nos grossiers ancêtres qui firent un peu de dégât. Les Sélénites, grands, forts, beaucoup plus intelligents sans doute que leurs adversaires, ont repoussé ces derniers après avoir capturé l’un d’entre eux, par curiosité probablement. Avant de quitter cette terre, où, négligemment, fut abandonné un de leurs appareils, ces mystérieux voyageurs voulurent laisser un souvenir détaillé de leur passage sur notre planète. Voilà pourquoi la planche que nous avons sous les yeux fut gravée par eux et jetée là, près de l’hélice.

— Mais alors, mon oncle, dit tout à coup Adrien en interrompant Agénor, le moulin, l’hélice à la nacelle brisée, ça serait donc…

— Ce que Lagogué a trouve aux « Iris », mon cher ! Mais oui, mais oui, les Sélénites ont laissé cela chez moi ; et, ajouta le bon docteur en levant de nouveau vers le ciel ses deux grands bras maigres, j’irai dans la Lune avec cet instrument-là !