Page:Marius Grout - Le vent se lève.djvu/139

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de 300 hectares pour Journel, des champs immenses, et 170, je crois, pour Bourgeois. Les deux jeunes gens, comme on dit ici, se plaisaient-ils ? je n’en sais trop rien. Le père Bourgeois et la mère Journel n’ont dû voir là qu’une affaire de gros sous. Et peut-être que les jeunes gens eux-mêmes n’y voient rien d’autre. Ce pays est dur, plus dur encore que je ne pensais. L’impiété est lamentable. Que dis-je ? il n’y a même pas impiété : on ne sait pas Dieu, on dirait qu’on ne l’a jamais su. On dirait même que Dieu n’est jamais venu ici. Les missionnaires en pays païen rencontrent encore des signes de Dieu, les témoignages brisés d’une connaissance meilleure ; ici, plus rien. Mademoiselle de Saint-Englebert m’écrivait avant-hier (elle a pris cette habitude depuis trois semaines déjà : elle juge que l’écriture exprime le mieux sa vraie pensée), mademoiselle de Saint-Englebert m’écrivait : « Je me promène parfois toute seule sur le plateau, parmi les champs et il m’arrive d’être saisie par la pensée — comprenez-vous ? — de l’absence, de l’effrayante absence de Dieu. Et je reste là immobile — ou je cours devant moi comme une folle, si j’en ai la force pour échapper à ce grand vide d’avant la création du monde… » Mademoiselle de Saint-Englebert ajoutait : « ’Connaissez-vous cela, monsieur l’Abbé ? » J’ai dû lui répondre que non ; que pour moi-même, en ce moment, les choses