Page:Marius Grout - Le vent se lève.djvu/19

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où je n’aille au collège (j’y vais à pied, cela fait trois quarts d’heure de marche) sans rencontrer quelque jeune fille, quelque jeune femme, que j’accompagne en esprit, jusque chez elle, dans sa plus tendre intimité. Je suis si vain que, pour chacune, je pense qu’elle ne sait rien encore, que son mari, ou son amant, gauche ou brutal, n’a point su se faire aimer d’elle. Alors elle vit en clair-obscur, mal révélée, mal résignée. Comme sur le seuil. Il suffirait… Notez que je ne parle là que de la seule union de chair. Vous pourriez croire tout autre chose : si je me laissais aller un peu, un tout petit peu, je vous ferais croire, car j’y croirais moi-même aussi, à ma grande âme, à la générosité d’un dieu qui voudrait achever le monde et faire vivre à chacun son rêve. « Vous qui êtes un idéaliste !… » Passe encore qu’on me dise cela et que je le reçoive sans broncher, avec ce demi-sourire sceptique — apparemment — qui joue si bien la modestie ; ici, il ne faut point tricher. Il s’agit bien de posséder. Très physiquement. Et l’une et l’autre, l’une après l’autre, et selon ces images ardentes dont j’ai nourri, hélas. ! ma triste adolescence. Je dis hélas car ce n’est que de ces images-papier que j’ai vécu. Par raison de timidité, et par manque de force profonde. Et à présent je suis tout dévoré par la hantise de ce que je n’ai point fait. De ce qui, pourtant, était faisable. De ce qui, peut-être, se devait. Car, et c’est bien de