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Page:Marius Grout - Le vent se lève.djvu/91

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C’était un grand diable de Picard — près de deux mètres — et gros à proportion. Il avait, avant de se marier et de s’installer à Saint-Martin-aux-Buneaux, roulé sa bosse en Tunisie, en Algérie, et terminé par des plantations en Indochine. Naturellement rien ne lui resta de toutes ces opérations, il revint pauvre comme devant, et dut, en France, s’engager comme pêcheur sur un morutier. Nous ne l’avions, à la maison, que quelques mois. Il rentrait ivre presque tous les soirs et frappait dur. Aucune fidélité à ma pauvre mère. C’était chose admise, dans le village, qu’aucune fille ne pouvait lui résister et quand l’une d’elles mettait au monde un petit bâtard, on disait : « Tiens, c’en est encore un au gars Victor ! » À la fin il buvait beaucoup moins et se lassait. « La vieille… — il disait ça avec une sorte de tendresse — la vieille, je crois qu’on est foutu. Même la goutte ne me dit plus rien. Et voilà que je me mets à tisonner !… Je ne me reconnais plus… Va-t-i-falloir que je me fasse curé ? Va-t-i-y avoir deux curés dans la famille ? » Il est mort de congestion cérébrale, sur la route de Sassetot-le-Mauconduit. C’était un dimanche. Il avait passé l’après-midi au café, à jouer aux cartes. Le père Queval, qui tient le bistrot, m’a assuré qu’il n’était pas saoul quand il sortit. Il était alors vers les 8 heures. On était en hiver et il y avait de la neige, une sorte de tempête avec un grand vent venu du