Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 1.djvu/183

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Artamène est vaincu, sa défaite est entière ;
Mais la gloire, Seigneur, en est si meurtrière,
Tant de sang fut versé dans nos derniers combats,
Que la victoire même affaiblit mes États.
À mes propres malheurs je serais peu sensible ;
Mais de mon peuple entier la perte est infaillible
Je suis son roi ; les dieux qui me l’ont confié
Veulent qu’à ses périls cède notre amitié.
De ces périls, Seigneur, vous seul êtes la cause.
Je ne vous dirai point ce que Rome propose.
Mon cœur en a frémi d’horreur et de courroux ;
Mais enfin nos tyrans sont plus puissants que nous.
Fuyez pour quelque temps, et conjurons l’orage :
Essayons ce moyen pour ralentir leur rage :
Attendons que le ciel, plus propice à nos vœux,
Nous mette en liberté de nous revoir tous deux.
Sans doute qu’à vous yeux Prusias excusable
N’aura point…

ANNIBAL

Oui, Seigneur, vous êtes pardonnable.
Pour surmonter l’effroi dont il est abattu,
Sans doute votre cœur a fait ce qu’il a pu.
Si, malgré ses efforts, tant d’épouvante y règne,
C’est de moi, non de vous, qu’il faut que je me plaigne.
J’ai tort, et j’aurais dû prévoir que mon destin
Dépendrait avec vous de l’aspect d’un Romain.
Mais je suis libre encor, et ma folle espérance
N’avait pas mérité de vous tant d’indulgence.

PRUSIAS

Seigneur, je le vois bien, trop coupable à vos yeux…