Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 2.djvu/340

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que nous nous retirions, faites le signal dont nous sommes convenus. ((À sa suite.) Et vous, qu’on nous laisse.


Scène II.

HERMIANE, LE PRINCE.
HERMIANE.

Vous excitez ma curiosité, je l’avoue.

LE PRINCE.

Voici le fait : il y a dix-huit ou dix-neuf ans que la dispute d’aujourd’hui s’éleva à la cour de mon père, s’échauffa beaucoup et dura long-temps. Mon père, naturellement assez philosophe, et qui n’était pas de votre sentiment, résolut de savoir à quoi s’en tenir, par une épreuve qui ne laissât rien à désirer. Quatre enfans au berceau, deux de votre sexe et deux du nôtre, furent portés dans la forêt où il avait fait bâtir cette maison exprès pour eux. Chacun d’eux fut logé à part, et actuellement même il occupe un terrain dont il n’est jamais sorti, de sorte qu’ils ne se sont jamais vus. Ils ne connaissent encore que Mesrou et sa sœur qui les ont élevés, qui ont toujours eu soin d’eux, et qui furent choisis de la couleur dont ils sont, afin que leurs élèves en fussent plus étonnés quand ils verraient d’autres hommes. On va donc pour la première fois leur laisser la liberté de sortir de leur enceinte et de se connaître ; on leur a appris la langue que nous parlons ; on peut regarder le commerce qu’ils vont avoir ensemble comme le premier âge du monde ; les premières amours vont recommen-