Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 3.djvu/335

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

LÉLIO

Et que pensiez-vous, Madame, en me gardant ainsi ?

HORTENSE

Je pensais apparemment que je vous devais la vie.

LÉLIO

C’était donc une pure reconnaissance ?

HORTENSE

J’aurais de la peine à vous rendre compte de cela ; j’étais pénétrée du service que vous m’aviez rendu, de votre générosité ; vous alliez me quitter, je vous voyais triste, je l’étais peut-être moi-même ; je vous regardai comme je pus, sans savoir comment, sans me gêner ; il y a des moments où des regards signifient ce qu’ils peuvent, on ne répond de rien, on ne sait point trop ce qu’on y met ; il y entre trop de choses, et peut-être de tout. Tout ce que je sais, c’est que je me serais bien passée de savoir votre secret.

LÉLIO

Eh que vous importe de le savoir, puisque j’en souffrirai tout seul ?

HORTENSE

Tout seul ! ôtez-moi donc mon cœur, ôtez-moi ma reconnaissance, ôtez-vous vous-même… Que vous dirai-je ? je me méfie de tout.

LÉLIO

Il est vrai que votre pitié m’est bien due ; j’ai plus