Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/103

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de raison ne valent rien non plus, on n’y est point en sûreté ; il s’y passe toujours un intervalle de temps où l’on a besoin d’être traitée doucement ; le respect de celui avec qui vous êtes vous fait grand bien.

Quant à Valville, je n’eus rien à lui reprocher là-dessus ; aussi lui avais-je inspiré des sentiments. Il n’était pas amoureux, il était tendre, façon d’être épris qui, au commencement d’une passion, rend le cœur honnête, qui lui donne des mœurs, et l’attache au plaisir délicat d’aimer et de respecter timidement ce qu’il aime.

Voilà de quoi d’abord s’occupe un cœur tendre : à parer l’objet de son amour de toute la dignité imaginable, et il n’est pas dupe. Il y a plus de charme à cela qu’on ne pense, il y perdrait à ne s’y pas tenir ; et vous, madame, vous y gagneriez si je n’étais pas si babillarde.

Finissez donc, me diriez-vous volontiers ; et c’est ce que je disais à Valville avec un sérieux encore altéré d’émotion. En vérité, monsieur, vous me surprenez, ajoutai-je ; vous voyez bien vous-même que j’ai raison de vouloir m’en aller, et qu’il faut que je parte.

Oui, mademoiselle, vous allez partir, me répondit-il tristement ; et je vais donner mes ordres pour cela, puisque vous ne pouvez vous souffrir ici, et qu’apparemment je vous y déplais moi-même, à cause du mouvement qui vient de m’échapper ; car il est vrai que je vous aime, et que j’emploierais à vous le dire tous les moments que nous passerions