Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/110

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reconnaissance ; à me séparer de lui comme d’un homme avec qui je voulais rompre, lui qui m’aimait, lui que je regrettais, lui qui m’apprenait que j’avais un cœur ; car on ne le sent que du jour où l’on aime (et jugez combien ce cœur est remué de la première leçon d’amour qu’il reçoit !), enfin, lui que je sacrifiais à une vanité haïssable, que je condamnais intérieurement moi-même, qui me paraissait ridicule, et qui, malgré tout le tourment qu’elle me causait, ne me laissait pas seulement la consoltation de me trouver à plaindre.

En vérité, madame, avec une tête de quinze ou seize ans, avais-je tort de succomber, de perdre tout courage, et d’être abattue jusqu’aux larmes ?

Je pleurai donc, et il n’y avait peut-être pas de meilleur expédient pour me tirer d’affaire, que de pleurer et de laisser tout là. Notre âme sait bien ce qu’elle fait, ou du moins son instinct le sait bien pour elle.

Vous croyez que mon découragement est mal entendu, qu’il ne peut tourner qu’à ma confusion ; et c’est le contraire. Il va remédier à tout ; car premièrement, il me soulagea, il me mit à mon aise, il affaiblit ma vanité, il me défit de cet orgueilleux effroi que j’avais d’être connue de Valville. Voilà déjà bien du repos pour moi : voici d’autres avantages.

C’est que cet abattement et ces pleurs me donnèrent, aux yeux de ce jeune homme, je ne sais quel air de dignité romanesque qui lui en imposa ; qui