Aller au contenu

Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/109

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Que n’avais-je pas souffert depuis une demi-heure ? Comptons mes détresses : une vanité inexorable qui ne voulait point de Mme Dutour, ni par conséquent que je fusse lingère ; une pudeur gémissante de la figure d’aventurière que j’allais faire, si je ne m’en tenais pas à être fille de boutique ; un amour désespéré, à quoi que je me déterminasse là-dessus : car une fille de mon état, me disais-je, ne pouvait pas conserver la tendresse de Valville, ni une fille suspecte mériter qu’il l’aimât.

À quoi donc me résoudre ? À m’en aller sur-le-champ ? Autre affliction pour mon cœur, qui se trouvait si bien de l’entretien de Valville.

Et voyez que de différentes mortifications il avait fallu sentir, peser, essayer sur mon âme, pour en comparer les douleurs, et savoir à laquelle je donnerais la préférence ! Ajoutez à cela qu’il n’y a rien de consolant dans de pareilles peines, parce que c’est la vanité qui nous les cause, et que de soi-même on est incapable d’une détermination. En effet, à quoi m’avait-il servi d’opter et de m’être enfin fixée à la douleur de quitter Valville ? M’en était-il moins difficile de lui rester inconnue, comme c’était mon dessein ? Non vraiment, car il m’offrait son carrosse, il voulait me reconduire ; ensuite, il se retranchait à savoir mon nom, qu’il n’était pas naturel de lui cacher, mais que je ne pouvais pas lui dire, puisque je ne le savais pas moi-même, à moins que je ne prisse celui de marianne ; et prendre ce nom-là, c’était presque déclarer Mme Dutour et sa boutique, ou faire soupçonner quelque chose d’approchant.

À quoi donc en étais-je réduite ? À quitter brusquement Valville sans aucun ménagement de politesse et de