Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/114

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il entend seulement que mon dessein est de la charger d’aller dire à mes parents où je suis, c’est-à-dire qu’il la prend pour ma commissionnaire ; c’est là toute la relation qu’il imagine entre elle et moi.

Et d’où vient cela ? C’est que j’ai si peu l’air d’une Marianne, c’est que mes grâces et ma physionomie le préoccupent tant en ma faveur, c’est qu’il est si éloigné de penser que je puisse appartenir, de près ou de loin, à une Mme Dutour, qu’apparemment il ne saura que je loge chez elle et que je suis sa fille de boutique, que quand je le lui aurai dit, peut-être répété dans les termes les plus simples, les plus naturels et les plus clairs.

Oh ! voyez combien il sera surpris ; et si moi, qui prévois sa surprise, je ne dois pas frémir plus que jamais de la lui donner !

je ne répondais donc rien ; mais il se mêlait à mon silence un air de confusion si marqué, qu’à la fin Valville entrevit ce que je n’avais pas le courage de lui dire.

Quoi ! mademoiselle ; est-ce que vous logez chez Mme Dutour ? Oui, monsieur, lui répondis-je d’un ton vraiment humilié : je ne suis pourtant pas faite pour être chez elle, mais les plus grands malheurs du monde m’y réduisent. Voilà donc ce que signifiaient vos pleurs ? me répondit-il en me serrant la main avec un attendrissement qui. avait quelque chose de si honnête pour moi et de si respectueux, que c’était comme une réparation des injures que me faisait le sort : voyez si mes pleurs m’avaient bien servie.