Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/135

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gros poing de mauvaise volonté, levé sur elle, allait lui apprendre à badiner avec la modération d’un fiacre, si je ne m’étais pas hâtée de tirer environ vingt sols, et de les lui donner.

Il les prit sur-le-champ, secoua l’aune entre les mains de Mme Dutour assez violemment pour l’en arracher, la jeta dans son arrière-boutique, enfonça son chapeau en me disant : grand merci, mignonne ; sortit de là, et traversa la foule qui s’ouvrit alors, tant pour le laisser sortir que pour livrer passage à Mme Dutour, qui voulait courir après lui, que j’en empêchai, et qui me disait que, jour de Dieu ! je n’étais qu’une petite sotte. Vous voyez bien ces vingt sols-là, Marianne, je ne vous les pardonnerai jamais, ni à la vie, ni à la mort : ne m’arrêtez pas, car je vous battrais. Vous êtes encore bien plaisante, avec vos vingt sols, pendant que c’est votre argent que j’épargne ! Et mes douze sols, s’il vous plaît, qui est-ce qui me les rendra ? (Car l’intérêt chez Mme Dutour ne s’étourdissait de rien). Les emporte-t-il aussi, mademoiselle ? Il fallait donc lui donner toute la boutique.

Eh ! madame, lui dis-je, votre monnaie est à terre, et je vous la rendrai, si on ne la trouve pas ; ce que je disais en fermant la porte d’une main, pendant que je tenais Mme Dutour de l’autre.

Le beau carillon ! dit-elle, quand elle vit la porte fermée. Ne nous voilà pas mal ! Ah ça ! voyons donc cette monnaie qui est à terre, ajouta-t-elle en la ramassant avec autant de sang-froid que s’il ne s’était rien