Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/148

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moi, ma belle enfant, n’auriez-vous pas quelque penchant à l’écouter ? Il m’a semblé vous voir un air assez satisfait auprès de lui ; me suis-je trompé ?

Moi, monsieur, répondis-je, je l’écoutais, parce que j’étais chez lui ; je ne pouvais pas faire autrement ; mais il ne me disait rien que de fort poli et de fort honnête.

De fort honnête ! dit-il en répétant ce mot ; prenez garde, Marianne, ceci pourrait déjà bien venir d’un peu de prévention. Hélas ! que je vous plaindrais, dans la situation où vous êtes, si vous étiez tentée de prêter l’oreille à de pareilles cajoleries ! Ah ! mon Dieu, que ce serait dommage ! et que deviendriez-vous ? Mais, dites-moi, vous a-t-il demandé où vous demeuriez ?

Je crois qu’oui, monsieur, répondis-je en rougissant. Et vous, qui n’en saviez pas les conséquences, vous le lui avez sans doute appris ? ajouta-t-il. Je n’en ai point fait difficulté, repris-je ; aussi bien l’aurait-il su quand je serais montée dans le fiacre, puisqu’avant que de partir, il faut bien dire où l’on va.

Vous me faites trembler pour vous, s’écria-t-il d’un air sérieux et compatissant : oui, trembler. Voilà un événement bien fâcheux, et qui aura les plus malheureuses suites du monde, si vous ne les prévenez pas ; il vous perdra, ma fille. Je n’exagère rien, et je ne saurais me lasser de le dire. Hélas ! quel dommage qu’avec les grâces et la beauté que vous avez, vous devinssiez la proie d’un jeune homme qui ne vous aimera point ; car ces jeunes fous-là savent-ils aimer ?